Mes anges

Réflexe pavlovien ou corollaire d’un increvable espoir, je cours chaque matin à ma boîte aux lettres comme j’ouvrirais une pochette surprise alors que je connais son immuable contenu : factures et publicités. Très exceptionnellement, ce 9 avril 2023, ce fut l’aspect surprise qui l’emporta puisque je découvris un tas de brindilles jusqu’à mi-hauteur de l’habitacle… L’œuvre d’un animal, supputai-je avant de consulter ma voisine qui avança un mulot en raison de l’étroitesse d’une fente d’à peine deux centimètres de largeur. Réflexe pavlovien toujours, j’allai publier la photo du nid sur facebook : « A défaut de poulet dans ma boîte aux lettres, un nid de mulots… D’où la fable -assez méconnue, il est vrai- intitulée « Le poulet et les mulots » ! » J’avais intentionnellement employé le mot « poulet » dans le sens de « billet doux » afin de coller mes innombrables amis dont la plupart me sont totalement inconnus.

Le 17 avril, je réalisai que la « collée » c’était moi en découvrant un œuf dont je dus me résoudre à faire état ne serait-ce qu’au nom de l’honnêteté la plus élémentaire : « Nid dans ma boîte aux lettres (suite)… et mea-culpa puisque les mulots ne pondent pas ! Il me faudrait une boîte aux lettres bis et en avertir la factrice… Bref, je ne sais plus que faire ! »

Après avoir vertement tancé ma voisine pour la fausse piste du mulot, je résolus d’acheter une néo-boîte aux lettres avec ma cousine qui était de passage dans ma campagne. C’est ainsi que nous accrochâmes une grosse boîte en fer blanc sur le portail en la mettant bien évidence au bout d’une parcours fléché destiné à la factrice.

Comme je lus qu’il fallait éviter de déranger les hôtes de ma boîte aux lettres, je laissai passer une dizaine de jours avant de risquer un rapide coup d’œil qui me combla d’aise : nous avions sept œufs, ce qui ne manqua pas de me valoir des retours enthousiastes tels que : « ça frise l’élevage intensif ! » tandis qu’une amie de longue date, connaissant mes propensions à materner tout ce qui bouge, s’extasiait : « On pourrait dire ‘maman poule’ maintenant … C’est merveilleux. »

J’avais opté pour de très rares visites à mes futurs petits pensionnaires, prenant juste le temps d’une photo et repartant au triple galop.  Hormis le risque de tomber bec-à-nez sur la mère ou le père, ces clichés de paparazzis avaient l’avantage de les déranger le moins longtemps possible tout en me permettant d’observer sur la photo les progrès à l’œuvre et, pour le moment, le nid dont j’admirais la forme arrondie comme la structure tapissée de duvet.

Après quelques recherches sur les durées de couvaison, je me fixai le 9 mai pour une nouvelle prise de vue rapide… Et là, miracle ! quatre minuscules becs jaunes grand ouverts au-dessus d’énormes ronds noirs plantés dans de petits corps rosâtres firent bondir mon cœur de joie : toute naissance est don du ciel, source d’un infini bonheur ! J’envoyai aussitôt la photo à ma cousine qui déclara avoir la larme à l’œil et s’écria : « Vive la vie ! » Sur facebook, on s’en réjouit fort. Parmi les nombreux commentaires, je notai « Tu es leur grand-mère quelque part ! »,  « Félicitations, Dominique, vous avez plein de petits-enfants… »

D’accord pour le costard grand-maternel, je l’endossai si bien qu’une dizaine de jours plus tard, le 18 mai, c’est une mamie au cœur serré par l’émotion qui entrouvrit la porte de la boîte aux lettres pour admirer, en vitesse, « ses » oisillons entassés les uns sur les autres. Ils avaient beaucoup grossi et pris l’aspect de « vrais » oiseaux avec têtes et ailes bien dessinées, couvertes de plumes foncées parfois barrées d’une raie jaune. Deux questions m’assaillirent aussitôt : quelle espèce de volatile ? Et surtout, comment allaient-ils sortir de la boîte aux lettres, si peu aguerris au décollage et sans doute incapables de se glisser par une fente ?… Devais-je laisser la porte entrouverte ? Cette dernière interrogation se fit taraudante car j’imaginais des chutes à la Icare sous le beau soleil printanier et, pire ! mes anges, ainsi que je les surnommais, livrés à de cruels crocs félins …

Par bonheur, quand j’eus le courage d’ouvrir la boîte aux lettres vers la Pentecôte, je la trouvai vide ! Quant à la réponse à ma question ornithologique, elle me vînt via Facebook : « Mésanges » …

Huit milliards d’habitants…. Et moi, et moi, et moi

Nous avons appris cette semaine que la population mondiale a atteint le chiffre de huit milliards d’habitants. Je n’ose pas écrire d’ « humains » tant la plupart des événements qui agitent cette fourmilière portent l’empreinte d’une barbarie contraire au concept d’ « humanité » dans sa définition courante.

A cette occasion, si je reprenais l’antienne d’une rengaine de Jacques Dutronc, en l’adaptant à ma situation actuelle, voici ce que ça donnerait :

« Huit milliards d’habitants sur terre

Et moi, et moi, et moi

Avec ma vie déclinante, ma petite maison,

Mon mal d’arthrose, mon point à la sciatique

J’y pense et puis je me plains

C’est encore la vie, c’est encore la vie »

Et je pourrais revisiter aisément les autres strophes de cette chanson, sortie en 1966, il y a donc 56 ans. Il y est question, en effet, de voiture, d’animal domestique, de soins esthétiques et corporels, de confort, de télé, de sexualité, d’individualisme et de fric… Manque le téléphone portable, mais tout y est puisque plus d’un demi-siècle a passé sans que, pour autant, nos désirs fondamentaux n’évoluent d’un iota.

Conclusion de cette dernière estimation de la population globale comme d’une sympathique ritournelle qui ne date pas tant que ça : au niveau individuel, tout un chacun s’en fiche et peut continuer de clamer « Et moi, et moi, et moi ! » Toutefois, plus on est nombreux, plus il faudra se battre pour satisfaire nos indéboulonnables appétences qui résistent si bien au temps… et ça, c’est ennuyeux !

Garder espoir

Hier matin, dès potron-minette (l’expression s’emploie aussi au féminin), je vis la chatte de ma voisine débouler comme un boulet de canon en direction de ma terrasse. Cette arrivée intempestive m’alerta sans plus car je ne voyais pas la proie offerte à l’assassine féline. Las ! quand la chatte s’éloigna à vive allure, elle tenait dans sa gueule un oiseau dont la tête et la queue dessinaient, de dos, les extrémités de deux grosses moustaches. Le temps d’aller ouvrir ma porte d’entrée, elle s’engouffra dans la chatière d’une maison toute proche sans que je puisse intervenir.

M’interposer ? J’avais été bien trop lente ! Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! soupirai-je très classiquement. Suivirent mes propensions à culpabiliser qui s’enclenchèrent au quart de tour en raison des graines de tournesol que je déposais sur une mangeoire et qui attiraient rouges-gorges, chardonnerets et mésanges dans mon jardin… Enfin et comme si ça ne suffisait pas, je découvris à terre deux petites plumes qui achevèrent de me clouer au pilori.

Vers la fin d’une journée pourrie, j’eus la visite de ma voisine. Elle m’annonça que sa chatte lui avait apporté un oiseau qui s’était finalement envolé par la fenêtre qu’elle avait ouverte. Un alléluia claqua dans ma tête et, tout à ma joie, je me dis qu’il nous faudrait, les uns et les autres, apprendre à ne pas perdre espoir.

Dans certains cas désespérés, comment faire ? Penser aux homards et aux langoustes emprisonnés dans le vivier de la belle salle à manger du restaurant du Titanic… qui leur aurait donné la moindre chance de sauver leur carapace ? De prime abord, personne. Et tant pis si l’exemple tient de la boutade puisqu’il illustre si bien mon propos.

Annie et les deux Simone

C’est avec joie que j’ai appris le couronnement de l’œuvre de Annie Ernaux par le prix Nobel, non sans me poser, toutefois, quelques questions…

A-t-on jamais annoncé que Patrick Modiano était le nième HOMME à recevoir le Nobel alors qu’on peut lire un peu partout qu’A. Ernaux est la 17ème FEMME à le décrocher ?  Cette précision me dérange et je présume que le jour où on saura s’en passer, on aura fait de grands progrès en matière de féminisme.

Notre brillante lauréate a su traiter de sa vie privée et intime, comme d’un objet d’étude qu’elle a examiné, analysé, avec une distanciation quasi scientifique (« sociologique » est le mot le plus couramment employé) d’où il résulte que n’importe laquelle de ses lectrices peut s’identifier à son personnage. Cela est d’autant plus vrai pour ses contemporaines qui ont connu les mêmes expériences, la même époque qu’elle (j’en suis, avec mes 81 ans). Cette méthodologie, qu’il faut saluer, ne s’en accompagne pas moins d’une forme d’écriture (de style) qui va avec, et qui, à mon avis, nuit à la qualité purement littéraire de son travail : on a parlé d’écriture « plate », « blanche » ou « comme un couteau » … N’aurait-il pas été plus approprié d’éviter le terme de roman, accolé à la plupart de ses livres, pour lui préférer ceux de récit, témoignage ou autre genre (du même genre !) qui m’échappe peut-être ?

Enfin, un petit regret au sujet de Simone Veil et surtout de Simone de Beauvoir qui, pour la dernière principalement, aurait largement mérité de voir, en son temps, son œuvre couronnée par le Nobel. Et ce sera donc ma dernière question : « Pourriez-vous Annie dédier un petit morceau de votre prix à Simone ? A l’avance, merci. »

Le test de la rose

« Mignonne, allons voir si la rose… », proposait Pierre de Ronsard dont les intentions n’étaient nullement médicinales puisqu’il conseillait de « cueillir sa jeunesse » tant qu’il en était encore temps. Ce qu’on appelle le carpe diem aujourd’hui transformé en YOLO (You only live once) par des adolescents dont on ne comprend pas bien la manière de parler et  qu’on craint porteurs du Covid 19. C’est pourquoi, en cette période de grande menace virale, j’ai cru bon de modifier la finalité de l’invite du poète en me déclarant à moi-même : « Vieille, allons faire le test de la rose… »

Ces quelques mots en forme d’injonction me reviennent à l’esprit, à chaque fois que la gorge me grattouille ou que j’éternue ; ils me conduisent aussitôt au jardin. Je sors à pas précautionneux de la petite véranda qui me sert de bureau et je rejoins le rosier, à quelques mètres de là. Je m’avance vers les magnifiques roses jaunes, un léger sourire aux lèvres pour leur signifier combien j’apprécie leur opiniâtre courage quand, floraison après floraison, elles continuent d’enchanter ma vue et, je l’espère, mon odorat ! Car, voilà l’objet de mon test puisqu’on sait que l’anosmie figure parmi les redoutables symptômes du virus.

Instant crucial s’il en est, car l’absence d’arôme me conduirait dans quelque officine médicale où, loin d’une délicieuse senteur, on m’enfoncerait une sorte de bâton tige dans le nez à m’arracher une grimace de douleur. Je prends délicatement la fleur dans l’encorbellement de mes doigts et, le nez en avant, la renifle de toutes mes forces. Et, c’est, à chaque fois, le même émerveillement à l’arrivée d’une effluve de parfum dont je m’emplis à pleins poumons avec un sentiment d’une infinie gratitude… Mes roses n’ont jamais senti aussi bon que cette année !

Ouvrages récents

Dernier ouvrage !

En octobre 2018, publication de « Variations sur le regard » à 5 sens éditions

Variations

Et « L’accourue en son jardin percheron » paraît aux éditions du Colombier, en mars 2019 :
 
 
 
jardin

Verglas maudit

J’avais toujours fait confiance au chiffre 9, mais le vendredi 9 février, hélas ! j’ai décidé de renoncer définitivement à mon chiffre porte-bonheur tandis que je serrais une poche plastique pleine de glaçons sur mon poignet en grimaçant de douleur. L’instant d’avant, mon pied avait glissé sur une plaque de verglas qui me mit bas en un centième de seconde (ou peut-être moins !), lestée par mon surpoids.

On m’annonça le lendemain, à l’hôpital, la fracture de mon radius gauche. Quelque chose de pas radieux du tout. Dans le magazine que je feuilletais pour détourner mes pensées d’une attelle longue comme mon bras, mon horoscope prédisait « Vous êtes au top ! » Derechef, je me dis que c’en était fini de ces inepties, je ne les lirai plus : si mes os partaient en capilotade, par ailleurs je m’élèverais spirituellement en me débarrassant de superstitions imbéciles.

De retour à la maison, je n’eus pas le temps d’apprécier mes progrès tant je mesurais la difficulté de vivre avec une seule main et, pourtant, la droite ! Les gestes les plus simples, parfois des automatismes, relèvent alors de l’exploit : beurrer une tartine devient impossible comme le maniement de tout couteau, la brosse à dents se fait fuyante devant le dentifrice qu’on voudrait y déposer ; quant à la toilette et à l’habillage, ce sont des exercices épuisants… A se rappeler constamment à mon mauvais souvenir, les conséquences de ma fracture tournent à l’obsession.

Ainsi, ce matin, je lis dans mes messages : « fracture en ligne », je suis stupéfaite : je savais les capacités du web à envahir nos vies comme si nous étions des insectes pris dans sa grosse toile d’araignée, mais j’ignorais son côté voyant extralucide ! Puis, à y regarder de plus près, j’ai lu « facture en ligne»…

Bon, j’ai bien plaisanté, mais c’est juste pour ne pas pleurer !

Les tricots de ma mère

Jeudi dernier, réunion à la médiathèque de lecteurs désireux de partager leurs « coups de cœur » ; moi, je voulais parler de la dernière livraison du Journal de Charles Juliet. Mon tour arriva et voilà que, tournant légèrement le bras, je découvris un gros trou dans mon pull beige à col roulé que m’avait tricoté maman ! Quelle avanie ! pensai-je tout en chantant à haute voix les louanges du livre que je présentais ; oui ! quelle avanie, alors que je les soigne tellement, les tricots de ma mère, les lavant à la main et les faisant sécher sur une serviette de toilette posée par terre, les manches en croix, tels des épouvantails plaqués au sol.

Dès ma naissance, un bruit d’aiguilles se cognant régulièrement m’accueillit : c’étaient ma mère et ma grand-mère dans leur activité principale et, à la longue, compulsive. Du matin au soir, en effet, leurs mains réunies dans le même effort se prolongeaient par deux très longs doigts fins au cliquetis obsédant. Ma parentèle aux mains de lainage, aurais-je pu dire d’elles.

Les tricots de mon enfance, je les ai oubliés. Le premier qui a marqué ma mémoire enveloppe la fine silhouette de mes vingt ans d’une somptueuse robe chinée noire et blanche. L’élu de mon cœur m’offrit une ceinture de cuir rouge pour souligner ma taille de guêpe, mais ma mère, si elle conserva la ceinture, n’en mit pas moins le beau jeune homme à la porte : arbitre de mes élégances, elle dirigeait également ma vie sentimentale.

Le demi-siècle qui suivit, fut placé sous le signe d’une production accélérée de pièces tricotées : des pull-overs, des ensembles jupes et hauts pour moi, des couvertures pour toute la famille, des écharpes, etc. A chaque fois que j’allais voir ma mère, nous épluchions un nuancier pour arrêter la couleur que préférait maman la plupart du temps ! J’acquiesçais bêtement sans jamais me renseigner sur les choix des laines et des aiguilles, leur nature ou leur diamètre. J’ignorais même si maman tricotait lâche ou serré. Je me souviens seulement du comptage des rangs du tricot en gestation dans un murmure qui faisait penser à une litanie à l’issue incertaine : elle pouvait se clore sur un sourire satisfait ou un merde ! retentissant.

A l’approche de ses quatre-vingt-dix ans, maman prédit : « Cette année, c’est mon dernier tricot, je me demande ce que vous allez devenir quand je serai morte ! » Et elle n’avait pas tort car, aujourd’hui, les deux vieillards aux têtes chenues que nous sommes devenus, mon frère et moi, n’hésitons pas à prendre des nouvelles de nos vieux tricots bienaimés : « Comment ça va, toi… tes pulls ? »